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C’est au petit déjeuner au Baroudeurs Hostel que j'ai rencontré Loïc et Vincent. “On part dimanche à 1h du mat pour le lever du soleil au Piton de la Fournaise. C'est une rando plutôt facile, tu veux te joindre à nous ?” J'ai accepté spontanément sans réfléchir, je veux de toute façon voir le volcan ! Loïc a déjà fait la rando mais il veut la refaire à ce moment-là de la journée et accompagner son ami.
Je présume qu'ils pensent que j'ai une bonne condition physique étant donné leur réaction, lorsque je leur dis que j'ai une lampe frontale : “ah oui, tu es équipée !”. Eux, en ont empruntées. J'ai l'habitude de marcher des kilomètres, que ce soit en ville ou à la campagne, mais sur du plat ! C'est très différent de marcher avec du dénivelé et des sols texturés.
Le matin même, je manque presque le départ : je séjourne dans le dortoir des filles. J'ai peur de déranger en faisant du bruit alors quand, j'ouvre les yeux avant que mon réveil sonne, je l'éteins. Bien sûr, je me rendors… Classic shit… Heureusement, mon cerveau doit être en alerte et, dix minutes avant l’heure de décollage, je me lève enfin. Je vois alors les appels manqués de Loïc.
A mon arrivée dans le hall, il s'exclame :”Ca aurait été dommage qu'on doive partir sans toi, tu avais tout préparé !” Sac, eau, goûter pour la rando...
Nous voilà donc partis en voiture dans la nuit noire avec nos quelques heures de sommeil au compteur. “C'est drôle, pensais-je, on ne sait pas dire si on est en métropole ou à la Réunion dans cette obscurité”. Leur voiture de location a du mal à monter une côte ; on change de chemin, mais petit à petit, nous arrivons.
Sur le parking, grand silence, des étoiles à perte de vue… Je n'ai pas vu un ciel aussi beau depuis le Sahara au Maroc. Je m'autorise à aller pisser dans un coin, comme un mec, histoire d'être tranquille pour la randonnée. Peut-être qu'un jour je vous raconterai comment j'ai surmonté ma peur d’uriner ailleurs qu’aux toilettes, c’était devenu un cauchemar récurrent… alors pouvoir m'autoriser ça, c’est un vrai luxe !
J'ai froid aux jambes, je suis en short, mais je suis contente de revêtir ma fidèle polaire aigle… On se dirige vers le début de la rando et je vois des lumières au loin. On dirait une route, mais les garçons m’affirment que non, il s'agit des personnes qui font la rando ! C'est impressionnant… tous ces points lumineux ne sont pas des phares de voitures mais des frontales ! C’est magnifique.
Nous commençons. De grandes marches en descente malmènent déjà mon cardio et mes muscles. Puis, plus loin, Loïc nous balance : “Profitez tant que ya du plat ! Suivez les traces blanches…”
En effet, la montée se fait sentir rapidement ensuite. A un moment, je sens mon souffle se couper et mon cœur battre comme jamais, j'ai à peine le temps d'avoir peur ou de conscientiser ce qu'il se passe, que Loïc me demande si cela va. “Dis nous si tu as besoin de t'arrêter, avec la hauteur l'oxygène se fait plus rare, c’est normal. Et ne t'inquiète pas, ton cœur ne va pas exploser !” Je les entends chuchoter avec Vincent avant que Loïc ajoute “Oui, mais au moins comme ça, elle ne doute pas de ses capacités.”
45 minutes plus tard, je vois que c'est intense physiquement, j'ai l'impression de faire de l'escalade. C'est particulier de monter sans vue. Là j'avoue, je doute. Pourquoi je fais ça, à quoi bon, je ne vais pas y arriver… Je murmure quelque chose et Vincent devant moi me répond “Tu penses trop ! Concentre-toi : un pied, après l'autre.”
Là je suis saisie, cette phrase “tu penses trop”, on me l’a dit tellement de fois… A cause de ça, je me suis sentie longtemps incomprise et différente… Le livre du même nom et d'autres aventures m'ont heureusement aidé à voir les choses autrement. Cependant, comme c’est connecté à des souvenirs désagréables, cela a tendance à me mettre en réaction… La dernière fois, c’était à table avec Ulysse Lubin à la Maison des Créateurs, je ne sais plus de quoi on parlait mais il a prononcé la formule maudite. Je me suis alors mise en mode défensif direct… “Tu ne vas pas me dire que toi tu ne penses pas trop avec les différents niveaux de profondeur de ton livre ?!” “Oui, justement…” C’est là que je me suis sentie un peu bête en comprenant toute l’intention positive qui se cachait derrière cette phrase, en tout cas dans cet instant précis.
Alors cette fois, quand Vincent l’a prononcé : j’ai relativisé. “Oui, Amandine, n'écoute pas ta petite voix dans ta tête, concentre toi sur ce qui est là. Un pas après l'autre. Ni plus, ni moins.”
C'est long, très long. Tellement long que Loïc qui a déjà fait la randonnée récemment, nous dit qu'il n'ira pas jusqu'au bout cette fois et que de toute façon, nous n’arriverons pas au sommet avant le lever du soleil ! J'avoue que cela m'enlève pas mal de pression… Pourtant ma peur de déranger s'agite - encore elle ! Les garçons ont un rythme plus affirmé que le mien, cependant, à aucun moment ils me le font ressentir. L'irrésistible envie de m’excuser pour ma lenteur survient… J'accueille et je m’interdis d’avoir cette pensée. Je travaille en ce moment à ancrer une nouvelle programmation dans mon cerveau : ma présence est un cadeau !
Pendant la montée, d'autres pensées me traversent. Finalement, est-ce que cette montée dans le noir n’est pas une allégorie de l’entreprenariat ? On a aucune idée d'où on va, même si bien sûr, on projette une vision de ce qu’on aimerait atteindre… mais on n’a pas l’assurance du chemin pour y arriver… aucune réelle idée de comment on y va… aucune garantie… ni sur le temps… ni sur le chemin… ni sur l’arrivée… ni sur comment sera le sommet… mais on y va quand même !
Et puis… La dernière “vraie” randonnée aussi difficile que j'ai faite, j’avais 14 ans, sur une île aussi : en Guadeloupe, pour admirer les chutes du Carbet. J’étais partie avec mon père et ses amis pour les vacances. J’avoue que cela avait été tellement dur pour moi que je n'avais jamais voulu en refaire jusqu'à ce jour et j’appréhendais de reprendre ici à la Réunion ! Comment ça se fait que je n'ai aucun souvenir du soutien de mon père et de ses amis ? Je me souviens pourtant qu’ils me donnaient des astuces pour mieux monter… Arrivée en haut, je n'avais eu qu'une seule envie : redescendre et j'avais refusé de manger tellement je n’en pouvais plus ! Pourquoi diable ne m'étais-je pas sentie soutenue ?
** flashforward**
J’ai appelé mon père par la suite au téléphone pour lui narrer mes exploits et avoir sa version de l'histoire. Il m’a confié que je n’avais pas voulu leur dire ce qui n’allait pas… Ressentir, reconnaître ses besoins, apprendre à verbaliser, demander… c’est donc vraiment la clé !
** fin du flashforward**
À l'évocation de ce souvenir, j'ai envie de pleurer, entre la fatigue et ma sensibilité… Mais je contiens mes larmes car je ne veux pas submerger les garçons avec mon émotion. D’expérience, je sais que cela peut être déstabilisant, encore plus pour le sexe masculin me semble-t-il - chose qu’ils me confirmeront d’ailleurs dans la voiture au retour. La peur de faire pleurer une fille par sa faute… alors que ce sont parfois des larmes de reconnexion à soi ou de joie. Entre nous, je trouve qu’on a un vrai problème avec l’accueil des émotions en public. C’est normal et okay de pleurer…
Petit à petit, les lueurs du jour arrivent. Tout prend alors une dimension différente. Nous ne sommes plus seuls : nous apercevons les autres randonneurs. Jusqu'à présent, nous n'avions croisé que peu de personnes, dont un couple qui redescendait, elle se fondait en excuse alors que son conjoint était compréhensif.
Finalement, le lever du soleil est là devant nous. Je pense à sortir mon téléphone pour immortaliser l'instant. Je ne savoure qu’à moitié, je suis éprouvée. Vincent me dit qu'il reste encore 15 minutes avant le cratère. J’entends Loïc et Vincent discuter : “Mais non !” “J'essaye de trouver des stratégies pour qu’elle reste motivée…” Il faut dire qu’une fois que tu as l’impression d’être arrivée en haut, il faut faire un grand tour pour arriver à ce putain de cratère ! C'est sans fin… Loïc nous quitte et entame sa descente. Avec Vincent, nous empruntons l’autoroute humaine qui se dessine devant nous. Parfois j’ai du mal à faire certains pas car c’est en pente et j’appréhende beaucoup. Certaines personnes assises m’expriment alors leur compassion “Quand on a peur, ça ne se contrôle pas, courage !” Mais quel est cet endroit où tout le monde est adorable ?!
Alors quand enfin on arrive… Je relâche tout et je pleure à la vue du cratère Dolomieu. Non pas qu’il soit beau, mais je l’ai fait ! JE L’AI FAIT !
** Si vous avez vu le documentaire d’Inoxtag, c’est comme l’une de ses premières expéditions me semble-t-il, c’est vraiment le ressenti que j’ai eu… Je suis heureuse de l’avoir vu seulement récemment, c’était le bon moment…**
Voir ses strates me rappellent aussi mon baccalauréat scientifique que j’ai eu de justesse grâce à ma spé bio et à la géologie justement…
J’entends les hélicoptères au-dessus de nous. Je pense naïvement qu’ils sont là pour s’assurer que nous allons bien… Mais non, ce sont des hélicoptères à fin touristique. Et là, on a la conversation la plus What The Fuck possible avec Vincent… Il prend les devants :
“Il est 6h, on se pose et on repart dans trente minutes avant qu’il ne fasse trop chaud.”
Il souffle :
“Et dire qu’il va falloir redescendre…
- ou pas !
- comment ça ?”
Là je m’interdis de penser que les hélicoptères pourront nous redescendre car en général quand ça survient, c’est très mauvais signe !
“Ma croyance, c’est qu’on a toujours le choix… Alors soit on redescend effectivement… soit… on reste là… et on meurt.”
Vincent me regarde interloqué.
“Ben ce n’est pas une option du coup !!!”
C’est la première fois que j’étais confrontée à ma croyance, à mon motto de cette façon. Si on a toujours le choix, quelle était donc les options possibles en haut de ce cratère ?! La volonté de VIVRE donc.
Vincent me propose de me prendre en photo avant d'entamer le chemin du retour. Là, il me dit qu’il faut se dépêcher avant que le soleil ne tape de trop… J’ai besoin de temps. Je ne serai pas là tous les jours. J’ai besoin d’observer, de profiter, de prendre des photos… et surtout j’ai besoin d’avancer doucement, à mon rythme, apprivoiser ma peur. Vincent m’a d’ailleurs dit en haut du cratère que j’avais toutes les capacités pour y aller, juste que je voulais vérifier que la où je posais les pieds, c'était stable et je pouvais simplement regarder où mieux poser mes pieds et y aller franchement. Cette phrase m’accompagnera sur tout le chemin du retour. Je dis alors à Vincent : vas-y, pars devant, ne m’attend pas !
Alors j’explore, à mon rythme, au milieu des paysages à couper le souffle et de la marée humaine. J’hallucine complet en voyant tout ce qu’il y a devant moi ! Moi, j’ai monté tout ça ?! Moi, j’ai été capable de faire ça ?! Et là, je suis en gratitude extrême de la vie… il aura fallu un enchaînement de circonstances incroyables pour que toutes les conditions soient réunies pour que je fasse cette randonnée dans les meilleures dispositions possibles ! Si j’avais voulu les provoquer, je suis sûre que cela aurait été impossible voire très difficile. Alors je savoure enfin… D’être là au bout du monde, sur un volcan… sur un volcan ! J’apprendrai d’ailleurs plus tard qu’on a aussi eu une chance monstrueuse au niveau de la météo !
Les paysages s'enchaînent. Je trouve de la force dans les bonjour. Et puis… j’essaye de me rassurer : où est le plat du début ? Est-ce que c’est là ? Ah non, pas encore… Je fais face à ma nature impatiente… Finalement… voilà la plaine. Une plaine immense !!! Mon dieu, c’est magnifique ! Lunaire. Mais… mais.. jusqu’où ca va ?! Où sont garées les voitures ?! Là, ça me revient… “Tu te souviens les escaliers du début… bon ben voilà, la voiture est de l’autre côté du mur…” J’avoue, je suis pas fière quand j’ai cette réalisation… J’en ai déjà plein les pattes… Les gens à l’horizon sont minuscules… donnant de la perspective à la distance encore à parcourir. Alors, j’éteins mon cerveau et je deviens ma meilleure amie : “allez, on avance déjà jusqu'à là, et on verra après.”
A un moment, je me pose et j’envoie un message audio à une amie :
Puis à l’unisson, mon téléphone vibre… Vincent et Loïc que je pensais ensemble m'envoient un message pour savoir où je me trouve. Là, j'apprends que Vincent m'a attendu en bas des escaliers… une heure et demie plus tard. Franchement, les escaliers, ce n’est pas le pire. Mais c’est bon d’avoir fini. Je regarde une dernière fois le volcan avec les yeux de l’amour pour lui dire en revoir… pour l’imprimer à jamais dans ma mémoire, pour lui envoyer toute ma gratitude pour cette expérience et ces apprentissages que je n’oublierai jamais.
Je le reverrai quelques semaines plus tard, en haut d’un hélicoptère. La boucle sera bouclée… Jusqu’à la prochaine fois ? En attendant, j’ai une autre montagne à gravir.
Merci pour cette newsletter, j’ai l’impression d’avoir fait la rando avec toi tellement tu nous l’as si bien racontée. Bien sûr c’est trop facile pour nous.
Bravo pour l’exploit de l’avoir fait ! Cela n’avait visiblement rien de facile contrairement à ce qu’ils en disent. Je n’ose imaginer les parcours difficiles alors.
Et beau parallèle avec l’entrepreneuriat, trop hâte que tu nous partages ta prochaine ascension 🌋🙌