Paris, c'est l'opulence. C'est la tentation à tous les coins de rue de ce dont on n'a pas besoin. Les publicités en 4 par 3 dans le métro. Les robes de créateur conçues ici flirtent avec les tatanes en plastiques par milliers, made in china, elles. C'est les friperies qui débordent et les brocantes hors de prix. Paris, c'est tout et son contraire. C'est le béton à perte de vue, les arbres presque inexistants. Le gris Paris. Les toits bleus. L'absence de saison. Les immeubles haussmanniens si haut qu'on en oublie que le ciel existe. Paris c'est le toujours plus. C'est l'activité incessante. A Paris, tout est ouvert 24 heures sur 24, ou presque. Paris ne se repose jamais. Si, peut-être, quand, dans la nuit, les oiseaux trouvent un espace pour chanter et se faire entendre. Les restaurants sont ouverts à toutes heures et les magasins n'importe quel jour. Le temps n'existe pas à Paris. C'est contre nature et seuls les pigeons et les rats peuvent y vivre et y survivre. Ils dégoûtent, étonnent par leur manque de couleurs et leur saleté, pourtant… ils sont gris Paris eux aussi, parfaitement acclimaté au climat pollué de cette ville inadaptable pour toute autre forme de vie. Pourtant, c'est là que tout se passe.
“Tout quoi ?” m'a rétorqué quelqu'un rencontré dans ma douce campagne.
Tout ce qu'on voit à la télé… La télé est faite pour les parisiens, c'est pour ça que j'ai voulu venir à Paris. Pour ça et pour travailler sur un “vrai site web”. Pour des entreprises de renom. Paris prestige. Paris condescendant. Paris qui regarde au-dessus de ces confrères de région, que dis-je : PROVINCE. Le gros mot. C'est ça : il y a Paris, et le reste du monde. Paris qui pète plus haut que son cul, en tout cas plus haut que ses immeubles.
Paris c'est survivre dans la masse, mais c'est aussi profiter de l'anonymat. Tout est son contraire on a dit. Paris on peut y vivre, y survivre ou s'y épanouir. Tout est possible à Paris pour tous ceux qui rêvent, osent, travaillent et n'abandonnent jamais comme dirait Xavier Dolan. Paris, c'est un peu marche ou crève.
Paris galère donc. Mais Paris c'est aussi l'émerveillement, les lumières, le beau, la culture. Paris, c'est Versailles, les balades auprès de la Seine, les piques niques au bord de l'eau, les nuits parisiennes, seule ou à plusieurs dans l'ivresse de l'alcool, de la coke pour certains ou pour fêter la vie. “Chaque nuit nous change un peu” , disait Pierre Niney dans son court-métrage pour Yves Saint Laurent. A Paris, on peut être mort ou vivant, comme n'importe où d'ailleurs. Certains y viennent pour travailler, certains pour des vacances et d'autres rêvent de ne jamais y mettre les pieds. Paris ne laisse pas insensible. Paris provoque, Paris fascine. Paris ne laisse pas indifférent. Paris on peut y vivre sans jamais la rencontrer ou Paris on peut s'en imprégner et être différent à jamais. Paris, on peut la fuir, ne jamais la quitter ou toujours y revenir. Paris c'est la centralisation d'un pays , la désertification de nos campagnes si belles et l'invisibilisation des autres villes.
“Si j'aime pas l'endroit où je vis, pourquoi j'en cherche pas un meilleur ? Y’a l'élastique d'un jokari qui me tire quand je veux gouter ailleurs” écrivait Benoit Dorémus dans sa chanson sur Paris.
Paris c'est incompréhensible pour les gens qui n'y vivent pas, pour ceux qui ont flirté avec elle sans jamais la comprendre… Pourtant, “jamais Paris ne me laisse” en cas de déprime, comme chantait Rose, Paris c'est le beau, les inconnus à qui on peut se raccrocher, avec assez de distractions au cm2 pour se noyer dedans pour oublier.
Paris, c'est la charge mentale du choix tellement l'offre culturelle est gargantuesque, c'est l'inquisition du soleil en terrasse quand tout ce que tu veux, c'est rester chez toi, pour peu que tu aies un espace assez grand pour pouvoir y respirer.
Paris c'est la diversité, le quartier chinois de Belleville, le Japon à Opéra, l'Afrique à Barbès et tant d'autres choses, c'est le multiculturel dans tous les sens du terme mais aussi les crispations politiques, l'indécence du Fouquet et des jardins terasses en haut des immeubles avec en même temps les SDF qui crèvent de faim en faisant la manche en bas. C'est la diversité mais pas celle qui cohabite en harmonie comme dans la nature. Paris, c’est être trop nombreux, c’est la compétitivité pour se faire une place, c'est parfois devenir requin pour survivre, être mis au placard ou partir.
“Paris promesse… Tu fais ta belle, tu ensorcelle… et tu donnes quoi aux gens comme moi qui s'abîment sur ton bitume ?!” poétise Nicolas Maury, originaire du Limousin.
Pourtant, Paris a été une bonne mère pour moi. Paris m'a sauvé, Paris m'a accueillie, m'a fait grandir, a été là quand j'ai eu besoin, même si cela a été dur. Paris m’a autonomisé, m'a obligé à choisir mes inconforts pour être libre et m'a offert au centuple l'abondance dont je n'osais même pas rêver. Pas l'abondance financière, non, quoique tout est relatif… plutôt l'abondance expérientielle, celle des rencontres, des récits heureux comme malheureux, mais surtout les paillettes et tout ce que je voulais y trouver. J’ai brûlé Paris par les deux bouts si on peut dire…
L’année dernière, je quittais mon appartement parisien, après 17 ans de vie commune, de bons et loyaux services. Cet appartement, je l'aimais autant que je le détestais. C'était ma sécurité, mon ancre, ma vie, mon refuge, mais il m'empêchait aussi de m'envoler, comme une huître attachée à son rocher. Il était temps de tourner une page et de me prouver que je pouvais exister sans Paris. Paris intimide et on peut s'y sentir petite ou perdue quand on y vient les premières fois. Paris est devenue ma maison. Un espace que je connais par coeur, dont je connais les codes, les rues à éviter ou à embrasser. Paris n'a aucun secret pour moi, bien que on ne connaisse jamais entièrement Paris, comme on ne connaît jamais entièrement une personne : Paris réserve toujours des surprises ! C'est aussi pour cela qu'on l'aime : on ne s'ennuie jamais ! On se lasse du bitume bruyant et encombré tout au plus, pour tous ceux qui arrivent à y voir autre chose que « les gens stressés et qui ne sourient pas dans le métro ».
Des mondes cohabitent sans jamais se croiser : le monde de la communication 10h-19h avec les enfants 7h-17h.
En étant “personne” ailleurs, je suis devenue quelqu’un. Dans le silence, dans l'appartenance des herbes hautes et des chevreuils, j’ai été vue et accueillie comme une humaine dans cette Dordogne, terre d'accueil. Là bas, le titre sur ton CV n'a que peu d'importance, c’est qui je suis qui résonne et on te tend la main comme nulle part ailleurs. Pourtant les inégalités existent aussi bel et bien, entre les figés au RSA et les villas secondaires.
Cette semaine, j'ai foulé Paris avec un regard différent. Le passé n'existe plus, ou en tout cas, il a été réparé dans ma mémoire si bien qu'il ne teinte pas les rues où je marche. C'est Paris retrouvé, bien loin d’un Bordeaux qui se pense Paris mais qui ne l'est pas, même si l’endroit a aussi son charme et ses praticités.
Je crois que quand on a réussi à faire sa place à Paris, il est courageux de la quitter, de se réinventer, de VIVRE autrement. A Paris ou ailleurs finalement. Mais toujours par choix, jamais par dépit.